Indemne de culture artistique , dans un certain sens, Delphine Bonnet ne peut l’être. L’œuvre qui s’épanouit depuis 2010 dans ses mains s’est certainement nourrie depuis l’enfance à la source d’un regard aigu, amusé, attentif et curieux à l’art, au monde, aux êtres, aux choses, à la vie et à la nature.
Pourtant cette œuvre est indubitablement une expression de l’art brut tel que défini par Jean Dubuffet puisque ce qui émerge de la terre n’est dû à aucune formation, aucune référence artistique. Comme si les personnages de Delphine Bonnet prenaient possession de ses mains et de son esprit – ou « chevauchaient » l’artiste, tels un dieu ou une déesse vaudou – pour pouvoir naître de la glaise : la terre n’a jamais été aussi organique que dans ces terres cuites ! Comment est-il possible autrement de sculpter si finement la vie sans avoir appris le modelage ?
Delphine Bonnet dit qu’elle ne sait pas parler de ses œuvres, elles sont, elles s’imposent à elle, par le rêve souvent. Et pourtant c’est bien à des parentés artistiques auxquelles on pense juste après s’être abandonné un instant à la fascination, au regard accrocheur de Julia qui sous un parasol, le visage constellé des particules d’ombre du feuillage, le regard mutin un tantinet hautain, ses joues hautes et pleines, les yeux fendus comme une belle de Mongolie, le sein impertinent…. incarne la quintessence de la féminité assumée avant même de dévoiler ce que contient son ventre.
Comme une boutonnière le ventre s’ouvre et un autre monde s’ouvre à nous : un fœtus en lévitation, un escargot qui glisse sous la lune, du feuillage, des fleurs dans le ventre, des organes qui semblent à la bonne place mais feraient tiquer les doctes praticiens de passage… C’est à la fantaisie et aux artifices, au jeu constant entre le réel et l’imaginaire du Surréalisme que l’on pense et à la psychanalyse, au rêve qui les fascinaient tant : ces personnages parlent à notre inconscient, à notre histoire personnelle intime mais également à l’inconscient collectif. C’est ce qui crée – comme dans les œuvres surréalistes, d’art brut ou dans les arts premiers – ce sentiment immédiat de proximité ou au contraire, de rejet. Ce ventre qui s’ouvre est lourd de sens pour l’humanité qui en est issue tout entière. Et ce qu’il contient nous inquiète, nous intrigue et nous attire…
L’œuvre de Delphine Bonnet flirte conjointement avec la bande dessinée et les arts vivants comme le cirque : ses personnages sont des clowns, ils jouent la vie pour imposer le rire au lieu des larmes, nous faisant passer en un instant de la fraîcheur de l’enfance à la gravité de la mort, du grotesque – comme le pied de nez d’un contenu stomacal incongru –, à la poésie d’un inventaire à la Prévert. Ils incarnent notre condition humaine, si précieuse, mais aussi si fragile, comme la terre cuite dont ils sont faits. Ce n’est pas un hasard si plusieurs œuvres ont pour titre Vivre ; dans le monde de Delphine Bonnet, la vie n’est pas une unique chance à saisir : Vivre 2 s’incarne comme un pied de nez à la mort, en un homme dont le visage respire sagesse et bonté. En cela, les bustes de Delphine Bonnet auraient toute leur place dans un Cabinet de curiosité, Memento Mori poétiques, et tout à la fois emprunts d’optimisme. Un paradoxe.
Delphine Bonnet a commencé une œuvre complexe et polymorphe, qui entre inconsciemment en résonance avec de nombreux autres domaines de la pensée, de l’art et avec la vie.
Souhaitons-lui de garder cette flamme très longtemps afin que nous puissions la suivre dans ce voyage initiatique.
Camille-Frédérique Blind
historienne de l’art
_1 En référence à la définition de l’Art brut par Jean Dubuffet, in L’art brut préféré aux arts culturels, 1949 (Manifeste accompagnant la première exposition collective de l’Art brut à la Galerie Drouin,
reproduit dans Prospectus et tous écrits suivants, Gallimard, 1967.
2 Le thème du fœtus est récurrent par exemple chez Salvador Dali qui disait se souvenir précisément de sa vie intra-utérine. On peut citer entre autres, l’oeuvre photographique qui le met en scène : En position fœtale, Philippe Halsman (Mémoire prénatale, 1941) et la Vénus de Milo aux tiroirs, Salvador Dali, 1936/1964 pour le thème de l’être humain qui s’ouvre de manière incongrue.
Pourtant cette œuvre est indubitablement une expression de l’art brut tel que défini par Jean Dubuffet puisque ce qui émerge de la terre n’est dû à aucune formation, aucune référence artistique. Comme si les personnages de Delphine Bonnet prenaient possession de ses mains et de son esprit – ou « chevauchaient » l’artiste, tels un dieu ou une déesse vaudou – pour pouvoir naître de la glaise : la terre n’a jamais été aussi organique que dans ces terres cuites ! Comment est-il possible autrement de sculpter si finement la vie sans avoir appris le modelage ?
Delphine Bonnet dit qu’elle ne sait pas parler de ses œuvres, elles sont, elles s’imposent à elle, par le rêve souvent. Et pourtant c’est bien à des parentés artistiques auxquelles on pense juste après s’être abandonné un instant à la fascination, au regard accrocheur de Julia qui sous un parasol, le visage constellé des particules d’ombre du feuillage, le regard mutin un tantinet hautain, ses joues hautes et pleines, les yeux fendus comme une belle de Mongolie, le sein impertinent…. incarne la quintessence de la féminité assumée avant même de dévoiler ce que contient son ventre.
Comme une boutonnière le ventre s’ouvre et un autre monde s’ouvre à nous : un fœtus en lévitation, un escargot qui glisse sous la lune, du feuillage, des fleurs dans le ventre, des organes qui semblent à la bonne place mais feraient tiquer les doctes praticiens de passage… C’est à la fantaisie et aux artifices, au jeu constant entre le réel et l’imaginaire du Surréalisme que l’on pense et à la psychanalyse, au rêve qui les fascinaient tant : ces personnages parlent à notre inconscient, à notre histoire personnelle intime mais également à l’inconscient collectif. C’est ce qui crée – comme dans les œuvres surréalistes, d’art brut ou dans les arts premiers – ce sentiment immédiat de proximité ou au contraire, de rejet. Ce ventre qui s’ouvre est lourd de sens pour l’humanité qui en est issue tout entière. Et ce qu’il contient nous inquiète, nous intrigue et nous attire…
L’œuvre de Delphine Bonnet flirte conjointement avec la bande dessinée et les arts vivants comme le cirque : ses personnages sont des clowns, ils jouent la vie pour imposer le rire au lieu des larmes, nous faisant passer en un instant de la fraîcheur de l’enfance à la gravité de la mort, du grotesque – comme le pied de nez d’un contenu stomacal incongru –, à la poésie d’un inventaire à la Prévert. Ils incarnent notre condition humaine, si précieuse, mais aussi si fragile, comme la terre cuite dont ils sont faits. Ce n’est pas un hasard si plusieurs œuvres ont pour titre Vivre ; dans le monde de Delphine Bonnet, la vie n’est pas une unique chance à saisir : Vivre 2 s’incarne comme un pied de nez à la mort, en un homme dont le visage respire sagesse et bonté. En cela, les bustes de Delphine Bonnet auraient toute leur place dans un Cabinet de curiosité, Memento Mori poétiques, et tout à la fois emprunts d’optimisme. Un paradoxe.
Delphine Bonnet a commencé une œuvre complexe et polymorphe, qui entre inconsciemment en résonance avec de nombreux autres domaines de la pensée, de l’art et avec la vie.
Souhaitons-lui de garder cette flamme très longtemps afin que nous puissions la suivre dans ce voyage initiatique.
Camille-Frédérique Blind
historienne de l’art
_1 En référence à la définition de l’Art brut par Jean Dubuffet, in L’art brut préféré aux arts culturels, 1949 (Manifeste accompagnant la première exposition collective de l’Art brut à la Galerie Drouin,
reproduit dans Prospectus et tous écrits suivants, Gallimard, 1967.
2 Le thème du fœtus est récurrent par exemple chez Salvador Dali qui disait se souvenir précisément de sa vie intra-utérine. On peut citer entre autres, l’oeuvre photographique qui le met en scène : En position fœtale, Philippe Halsman (Mémoire prénatale, 1941) et la Vénus de Milo aux tiroirs, Salvador Dali, 1936/1964 pour le thème de l’être humain qui s’ouvre de manière incongrue.